Cette interview a été publiée le 29 juin 2017 dans Le Défi Quotidien.
L’Université de Maurice, en association avec le Mauritius Research Council, organise depuis le 28 juin une conférence internationale sur le thème « Mauritius after 50 years of Independence : Charting the Way Before ». Christina Chan Meetoo, qui est Senior Lecturer en communication et média et qui coorganise la conférence, nous donne sa lecture.
Pourquoi avoir recherché la contribution de chercheurs étrangers pour cette conférence ? Quel est leur dénominateur commun ?
Notre appel à participation ne visait pas des chercheurs étrangers de manière spécifique. En fait et ce depuis plusieurs mois, nous avons fait circuler un appel à communication de manière très large dans le monde académique. Sachez que nous avons été surpris par l’engouement des chercheurs tant locaux qu’étrangers.
Nous comptons plus d’une soixantaine de délégués, dont 50 chercheurs présentant 40 communications orales. Ils viennent de 23 institutions universitaires de 17 pays participants, dont Maurice. La moitié d’entre eux sont des Mauriciens et c’est normal. Quant aux chercheurs étrangers, nous avons été étonnés de voir autant d’études déjà consacrées à notre île.
À une année des célébrations d’un demi-siècle de l’Indépendance de Maurice, pourquoi estimez-vous que ce bilan-réflexion d’envergure et inédite est nécessaire ?
Cinquante ans c’est à la fois peu et beaucoup. C’est un âge relativement jeune dans le grand schéma de l’histoire, mais c’est aussi la maturité à l’échelle du temps de la vie humaine. Nous sommes à une période charnière durant laquelle plusieurs générations se côtoient. Les plus anciens peuvent encore témoigner de l’histoire à partir de la période entourant l’octroi de l’indépendance.
Il est impératif que ces connaissances soient transmises aux jeunes générations avant qu’elles ne se perdent, d’autant qu’il y a eu, entre-temps, une certaine forme d’amnésie au niveau des institutions et des individus. Une conférence comme celle-ci permet de prendre de la distance de manière plus objective et analytique sur notre passé et notre présent et pourquoi pas, notre avenir en tant que nation.
Il faut commencer par reconnaître que Maurice a accompli pas mal de choses pour un pays sorti du joug de deux colonisations successives avec une population aussi diverse et sans grandes ressources naturelles. Nous sommes souvent érigés en modèle de réussite économique et social.
Cependant, nous avons toujours la sensation que l’on peut mieux faire. Nous avons des unfinished businesses en ce qui concerne notre identité collective et notre vivre-ensemble. Il y a encore des sources de tensions subtiles qui nous fragilisent, tant du point de vue ethno-religieux que socio-économique. Comment peut-on expliquer ces paradoxes qui sous-tendent la réussite mauricienne ? Telle était une des questions centrales de notre démarche en organisant cette conférence vigoureusement soutenue par l’Université de Maurice, le Mauritius Council et des sponsors des secteurs public et privé.
« Nous avons créé une manière de vivre-ensemble spécifique. Il s’agit de l’étayer davantage, de lui apporter plus de substance et de corps afin qu’elle se pérennise et ne se manifeste plus uniquement de manière sporadique. »
Avez-vous le sentiment que la réalisation d’un État-nation, du sens d’appartenance nationale et républicaine soit restée inachevée ?
Certainement. Même si je préfère rester optimiste sur notre potentiel à nous forger une vraie identité nationale. Nous avons créé, sans véritablement chercher à le faire consciemment, une manière de vivre-ensemble spécifique. Il s’agit de l’étayer davantage, de lui apporter plus de substance et de corps afin qu’elle se pérennise et ne se manifeste plus uniquement de manière sporadique. Il faut créer un vrai projet de société.
Ce qui nous a freinés dans ce sens, ce sont surtout les facteurs systémiques : notre partitionnement en communautés parfois artificiellement créées, notre système de représentation politique, notre répartition historique des pouvoirs économiques et politiques et les failles de notre système de valeurs au sein des familles, dans le monde professionnel et surtout dans le monde éducatif qui a, jusque-là, nourri la gangrène de la compétition malsaine au détriment de la vraie coopération citoyenne.
Le modèle mauricien du développement intercommunautaire et du fameux « dialogue interreligieux » est-il une réalité qui se vit au quotidien ?
Il y a eu beaucoup d’avancées sur le dialogue interreligieux. Il faut saluer ces efforts même si les vieux réflexes d’autoprotection communautaire se manifestent de manière inélégante de temps en temps dans le milieu ethno-religieux.
Au quotidien, je crois que nous arrivons à cohabiter relativement bien, du moment que certaines frontières demeurent infranchies. Il y a des consensus qui permettent de maintenir un certain équilibre. Un équilibre de temps en temps menacé mais qui globalement, mis à part les terribles émeutes raciales des années 67 et 99, demeure harmonieux. Cela dit, je crois que les questions d’identification ethno-religieuse s’estomperont progressivement malgré quelques inévitables tentatives de radicalisation.
La grande problématique qui me préoccupe de plus en plus, c’est la ghettoïsation subtile de notre société. À partir de la classe moyenne, il y a comme une fuite en avant dans les choix de logement, de scolarisation des enfants dans les écoles pour riches, de consommation effrénée et de styles de vie.
La jeunesse mauricienne est-elle capable de rejeter les réflexes « communautaristes » sectaires qui ont longtemps caractérisé certains rapports et qui se vérifient notamment durant les échéances électorales ?
Pour l’instant, la jeunesse mauricienne me paraît peu intéressée, voire informée sur la chose politique. Je ne suis pas sûre que le jeune Mauricien moyen soit conscient des mécanismes de notre système politique avec ses ressorts communautaristes visibles (Best Loser System) et invisibles (désignation des candidats, des maires, des ministres et autres nominés). Il y a tout un travail d’éducation et de literacy à faire à ce chapitre.
À travers ses individualités ou ses regroupements, la société civile peut-elle contribuer à l’édification de ce sens d’appartenance cité plus haut ?
La société civile mauricienne est composée d’une multitude d’acteurs avec des agendas multiples. Parmi, il y en a certainement qui peuvent contribuer à l’édification de ce sens d’appartenance. Cependant, on ne peut uniquement s’appuyer sur ces structures pour l’éducation citoyenne. Elle doit se faire également au quotidien, dans nos foyers, nos institutions, nos écoles et nos médias… partout.
Pourquoi d’autres personnalités, hors du milieu universitaire, n’ont-elles pas été invitées ?
L’appel à communication, même s’il est en priorité destiné au monde universitaire, a été diffusé de manière plus large sur notre site Web et sur les réseaux sociaux. Nous avons eu quelques contributions en dehors du milieu académique. Il est vrai que nos critères de sélection étaient assez élevés car nous voulons produire une publication digne de ce nom à partir des communications. L’idée est de produire un livre de référence analytique et non une simple publication de réclame pour nous faire plaisir.
Quelle sera la suite de cette conférence ? Les « papiers » pourront-ils faire l’objet d’une véritable dissémination « populaire », vers le bas ?
Absolument ! Nous avons préparé un Book of Abstracts. Il s’agit d’une publication, contenant tous les résumés des communications, qui sera mise en ligne pour un plus large accès. Ainsi, les membres du comité d’organisation, dont mes collègues Ramola Ramtohul, Roukaya Kasenally et moi-même, ont délibérément choisi d’ouvrir librement l’accès aux présentations aux membres du public dans la limite des places disponibles.
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