Paru dans L’express-Dimanche du 17 février
QUESTION A
CHRISTINA CHAN-MEETOO, CHARGEE DE COURS EN COMMUNICATION A L’UNIVERSITE DE MAURICE
« La télé ne peut pas être un substitut parental »
Expliquez-nous ce pouvoir d’attraction qu’ont les dessins animés sur les enfants ?
Il faut noter que la télé a un pouvoir immense, mais pas que sur les enfants. Je suis prête à parier que les adultes passeraient plus de temps devant la télé s’ils n’avaient pas d’activités professionnelles. Ceux qui produisent les films connaissent les attentes des enfants. Ils savent quelles bandes dessinées lisent les jeunes, ils voient ce qu’ils bouquinent, et savent quelles thématiques ils aiment. Ils présentent leurs films sous une forme ludique, avec des couleurs, une stylistique appropriée.
D’ailleurs, de tous les médias, la télé a plus de pouvoir parce qu’elle s’apparente plus à la réalité. L’image est animée, alors que les écrits demandent un travail d’imagination, un effort intellectuel.
En quoi les héros, et par extension la télé, informent et éduquent ?
Les parents seuls ne peuvent pas apprendre toutes les choses de la vie à leurs enfants, par exemple sur la relation avec le sexe opposé, sur l’amitié. Alors qu’on dit que la télé rend asocial, qu’il y a la montée de l’individualisme, la télévision permet en réalité de créer une appartenance à la communauté. Elle peut aider les enfants à appréhender certains problèmes auxquels ils ont à faire face.
Dominique Pasquier a fait une étude sur le sujet, notamment sur la série Hélène et les garçons. Elle avance que de telles émissions participent à la construction du jeune, de sa personnalité, fournissent des sujets de conversation à l’école, et aident à la création des liens. Il y a une certaine forme d’éducation, certes pas idéale, mais aucune méthode d’éducation n’est parfaite de toute façon. Grâce à ces films, les enfants sont exposés à certaines thé-matiques comme l’équité, les relations humaines, qui aident au développement.
Comment empêcher que les enfants ne s’identifient aux héros, qu’ils se prennent pour Spiderman ? Comment faire pour qu’ils fassent la différence entre réalité et imaginaire ?
On ne peut pas empêcher l’identification. En revanche, il faut pouvoir gérer, dire à l’enfant que tel film est certes bien, mais qu’en réalité, cela n’existe pas : « Tu peux faire semblant, au sol, de lancer de la toile d’araignée comme Spiderman, mais tu ne peux pas t’accrocher à des bâtiments. »
Ces héros permettent aussi de créer du lien social. Complicité et compréhension s’établissent entre enfants quand ils en parlent. Il faut juste poser des limites. L’accompagnement adulte est important. Contrai-rement à eux, nous savons discerner entre ce qui est bien ou mal. N’empêche, il ne faut pas croire que les enfants ont besoin sans cesse qu’on les protège. Il faut juste qu’on balise le terrain pour eux.
On a tendance à dire que la télé est néfaste, qu’elle favorise la violence, les comportements déviants.
Il ne faut pas prendre les choses de manière isolée. Dans la première partie du xxie siècle, il y avait la media effect theory qui avançait que les médias avaient un effet direct sur le public. Et puis, il y a eu un autre courant d’étude culturelle et de nouvelles approches. Il est clair que la violence est aussi une question de personnalité et que d’autres facteurs comme l’environnement social, l’intégration dans la famille, entrent en ligne de compte. Certains sont vulnérables, d’autres plus résistants, mais il n’y a pas de corrélation directe entre des images violentes et un comportement similaire. Sinon, on aurait eu encore plus de violence. C’est une minorité qui passe à l’acte et on ne peut pas dire qu’il s’agit seulement de l’influence de la télé.
Quelles sont justement les règles à faire suivre en ce qui concerne la télé ?
La télé est un outil qu’il faut savoir utiliser. Elle est à double tranchant. Comme on dit, à mauvais ouvrier point de bon outil. Ce n’est pas une question de quantité, mais de qualité. La télé ne peut pas être un substitut parental. Les parents doivent faire de la médiation, comme faire ressortir que tel personnage est fort parce qu’il mange des légumes. Il faut aussi savoir diversifier l’activité de l’enfant.
Un enfant sans petit écran, c’est une bonne chose ?
Il risque d’être isolé, ce serait loin de lui rendre service. Mettre des limites suffit.
Propos recueillis par Corina Julie
Daver says
impressionnant et fascinant , beaucoup d’appreciation pour cette entretien magistrale